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Anatomie d’une chute

Film, 2023

Justine Triet / 150 min. / 2023

6,2 M€ (France). 45 j. de tournage

« Anatomie d’une chute » contient certainement la scène de procès la plus réussie du cinéma. La bonne nouvelle c’est que le procès constitue les deux tiers du film ; la mauvaise c’est que le film reste accroché à la barre.

En revenant d’une ballade avec son chien-guide, Daniel, un garçon de 11 ans, découvre le corps de son père inerte, face contre terre. Si la cause de sa mort est rapidement établie (une chute depuis un étage du chalet dans lequel la famille réside), reste à établir le motif de celle-ci. Très vite, sa femme (Sandra, fantastique Sandra Hüller) est désignée, puis accusée et renvoyée devant une Cour d’assises. Dès lors, le film installe le spectateur dans le siège d’un juré, assistant à l’élaboration et à la critique des thèses sur la mort de Samuel.

Il faut louer d’abord les qualités de mise en scène du procès. Justine Triet parvient à s’extraire de la rigueur didactique de l’audience, pour redonner de la fluidité aux corps et à la parole. Les thèses opposées s’expriment alors de manière dynamique, donnant corps, comme par négatif, au mystère de cet affaire, le grand héros du film. La richesse de ce mystère n’émane pas seulement de son caractère irrésolu. Il charrie autour de lui des thèmes forts qui permettent de lui donner de la consistance : crise fondamentale du personnage masculin ; déliquescence du couple ; caractère trop autoritaire de l’artiste qui veut soumettre le monde à ses désirs ; déséquilibre parental autour de l’enfant. Autant de pistes fécondes pour l’esprit du spectateur. Si le film est un peu trop long, on ne s’y ennuie pas.

Tout du long, il est tenu et traversé d’une tension toujours lisible sur le visage de Sandra. Les effets de mise en scène sont rares mais pertinents. Un traveling avant à la steadycam ou des flashbacks rapidement insérés viennent illustrer la narration. Un plan fixe sur l’enfant dont la tête tourne à droite ou à gauche au gré des échanges de balle entre la défense et le parquet.

Mais cette puissance du film est d’abord celle du procès et peut-être seulement celle du procès. On aimerait que le cinéma emporte le procès ailleurs, montre qu’il y a autre chose à voir, ou radicalise le caractère indécidable d’une situation. J’aurais préféré que le film tende davantage vers Welles que Wiseman.

On peut regretter à cet égard que la réalisatrice, à deux reprises, illustrent par des flashbacks des propos tenus à l’audience, ôtant ainsi au spectateur tout doute quant à leur véracité alors que c’est précisément en épaississant le mystère que le film se renforce. C’est peut-être que la vérité l’intéresse moins que la discussion ou la place de l’individu dans l’institution.