🌸 Bordel Quel Bazar 🌸
As Bestas
Rodrigo Sorogoyen / 137 min. / 2022
3,9 M€ (20% France; 80% Espagne). 47 j. de tournage
Un couple de français (Olga : Marina FoĂŻs et Antoine : Denis Minochet) est installĂ© de fraĂ®che date en Galice pour y Ă©tablir une ferme biologique. Des tensions voient le jour avec leurs voisins, deux frères Ă©leveurs bovins, car le couple refuse de donner leur voix au projet d’implantations d’Ă©oliennes dans la commune, ce qui permettrait aux Ă©leveurs de quitter le village et de vivre dans des conditions moins dures.
Le film est construit en deux parties. La montée des tensions avec les voisins aboutit au meurtre d’Antoine par ces derniers, suivi immédiatement d’une ellipse nous transportant un an plus tard, Olga restant seule à la ferme avant d’être rejointe par sa fille.
Sous une forme de thriller, le film soulève en creux des questions politiques très intéressantes mais qu’il traite de manière superficielle voir même avec un certain dédain.
En effet, As Bestas donne à voir un rapport de classe puisque le couple de français appartient à la classe moyenne éduquée (Antoine fut prof avant de changer de carrière) tandis que leurs voisins vivent dans le dénuement quasi-total, sur le plan matériel et intellectuel. Le rapport de classe est en outre renforcé et redoublé par un rapport à la terre, puisque celle-ci constitue pour les français une promesse tandis que pour les éleveurs locaux elle est un fardeau.
La situation est intéressante mais d’emblée le film s’interdit d’y apporter la moindre réponse un tantinet subtile car les éleveurs bovins sont dépeints comme des bêtes, non sans faire écho aux redneck de Délivrance : systématiquement alcoolisés, violents, sales et sournois. Ils sont presque immédiatement identifiés comme des antagonistes et le récit se fige alors sur les violences qu’ils vont faire subir aux français et donc dans un rapport purement conflictuel.
Des esprits subtils pourraient relever que la violence dont ils font preuve à l’égard des français n’est qu’une transformation de la violence que le capitalisme leur fait subir. Le film lui-même esquisse l’hypothèse que ce conflit de voisin/classe serait le fruit du capitalisme, du capitalisme vert même, puisque qu’il survient suite au refus des français de donner leur voix au projet d’implantations d’éoliennes dans la commune. Le couple recevra même la visite d’un ancien habitant ayant fait fortune en ville, qui tentera de les convaincre de donner leur accord au projet.
L’hypothèse est séduisante mais elle nécessite d’accorder au film un trop grand crédit. Car le conflit est déjà bien installé avant même que toutes les chances de coopération entre voisins ne soient définitivement condamnées (l’indemnisation des français en cas d’implantation des éoliennes ne couvrirait pas les pertes subies par le sabotage de leurs plants de tomates par les éleveurs). Et si à un moment Antoine propose aux frères une issue, elle est rapidement rejetée par eux.
Face aux nombreuses intimidations des deux frères, le spectateur n’a pas d’autres choix que de se demander pourquoi le couple ne quitte pas la région et décide de s’installer ailleurs. C’est là qu’intervient la question du rapport à la terre des français et on imagine que celui-ci doit être particulièrement fort car ils ont, eux, fait le choix de s’y installer. Pourquoi ne pas partir alors ? La réponse viendra d’Antoine qui dira avoir eu une expérience quasi-mystique avec la région un soir d’ivresse nocturne plusieurs années de cela.
Franchement, comment croire que face à un danger de mort d’anciens profs ne fassent pas le choix raisonnable de quitter cet endroit ? D’un point de vue marxiste on pourrait relever que le pouvoir de choisir de s’installer sur une terre a pour corrolaire le pouvoir de la quitter. Il est aussi difficile de croire qu’un projet de ferme bio puisse tenir lieu de projet pour lequel on est prêt à mourir dans un idéal aristocratique.
Le film plante un décor qui ouvre naturellement vers une interprétation marxiste et les personnages ne permettent que difficillement d’échapper au sentiment d’illustration vulgaire d’une grille de lecture. Le rapport de classe est trop présent et trop déséquilibré pour ne pas être évoqué et critiqué.
Dans la seconde partie du film la femme d’Antoine, Olga, reste seule avant d’être rejointe par sa fille. Une longue scène de dialogue entre la mère et la fille voit la dernière reprocher à la première de continuer à vivre à proximité des assassins de son père. Puis la fille reste un temps pour aider sa mère avant de repartir. Olga continue mollement les recherches du corps d’Antoine qui, à la fin du film est retrouvé par la police, sur le point d’arrêter les deux frères. Avant leur arrestation Olga va parler à leur mère, pour lui annoncer qu’elle sera bientôt seule sur la ferme mais qu’elle (Olga) sera présente à ses côtés pour faire face à l’épreuve.
On saisit bien sûr qu’il y a là un sujet féministe qui est abordé. Mais alors pour dire quoi ? Pour signifier la solidarité féminine en dépît de la violence des hommes qui les contraint à la solitude ? L’idée est non seulement banale mais en plus elle conduit à donner l’idée d’un féminisme transclasse, alors précisément que dans la première partie les classes sociales semblaient être sur-déterminantes.
La mise en scène use de beaucoup d’efforts pour figurer la tension et y parvient, au prix parfois d’un certain agacement du recours si fréquent à la bande-son. Le rythme du film, particulièrement lent, est une sorte de cache misère, une manière pour lui de se donner une épaisseur qu’il n’a pas.
Vu une semaine après Pacifiction, auquel j’ai repensé durant les 3/4 du film.