🌸 Bordel Quel Bazar 🌸
Pacifiction
Albert Serra / 165 min. / 2022
2,3 M€ (44% France; 30% Espagne; 16% Allemagne; 10% Portugal). 7 j. de tournage
Dans une île en Polynésie, le représentant de l’état a vent d’une rumeur selon laquelle la France reprendrait les essais nucléaires dans la région. Un sous-marin est aperçu au loin, des prostituées locales partent au large le soir, des personnages troubles font leur apparition.
L’intrigue policière autour de la reprise des essais nucléaires est très légère et permet d’enserrer le haut-commissaire (ie préfet), joué par Magimel, dans un noeud de complots duquel il essaie de se sortir.
Ce haut-commissaire est le seul représentant de l’état sur cette île. « Le ministre est un con, le Président aussi » l’entend-on dire au futur maire à qui il rend visite sur une île voisine, dans une atmosphère quasi-mafieuse. Ils sont surtout loins, ce qui lui laisse une certaine liberté pour administrer les affaires mais qui le montre aussi dépourvu (jamais le spectateur ne le voit dans son bureau ni ne peut se figurer l’étendue réelle de son pouvoir).
Ce petit roitelet se meut lentement dans son costume en lin blanc, avec une aisance certaine au sein de la communauté insulaire. Ambiance à la Conrad, mais le haut-commissaire est loin de la folie: s’il peut encore exister c’est par le langage, un langage de politicien, des formules toutes faites auxquelles il ne croit pas et qui ne lui sont d’aucune aide pour trier les rumeurs.
Magimel est empesé, dense, suintant et mystique et d’autant plus fascinant à regarder que la direction de Serra sert parfaitement le propos du film. Les acteurs sont laissés libres d’improviser et chaque prise peut engager les personnages dans une direction différente, une variation sur eux-mêmes. L’indétermination des personnages contribue à la moiteur et à l’incertitude qui règne, tout pouvant basculer à chaque instant.
La mise en scène est aussi formidable. Bien sûr, il y a la moiteur des îles, l’alcool, les corps dénudés et la pauvreté. L’espace mental des personnages est replié sur lui-même et l’étendue des paysages n’y change rien car Serra enferme ses personnages dans le cadre. Même les scènes en extérieur n’assurent qu’une maigre respiration (le hublot depuis l’avion, les jumelles, la nuit). Les tons sont orangés et rappellent Mann mais ici il n’y a pas de plan bleu; on regarde l’horizon comme on regarde un mur.
Une scène en mer sur la crête d’une vague est d’une puissance fantastique. Une scène en boîte de nuit Lynchienne (Blue Velvet).
Quelques longueurs vers la fin, mais c’est un reproche d’enfant gâté.
Seul regret : la scène finale apporte une résolution trop claire à l’intrigue alors qu’une fin plus mystérieuse aurait servi le film, tout était dit.