🌸 Bordel Quel Bazar 🌸
Forbidden Siren
PCSX2/2h de jeu
Après deux heures de jeu et en dépît de ses qualités, j’ai compris que je n’irai pas bien loin.
Le jeu se déroule dans une commune rurale du Japon. Un incident se produit, impliquant un groupe religieux. L’ambiance et le design de l’environnement sont très similaires à ceux de Silent Hill, les deux jeux ayant en commun le même réalisateur ainsi que plusieurs développeurs (ainsi qu’un même support, la PS2, dont les limitations techniques sont utilement contournées par un brouillard omniprésent). Dans Forbidden Siren les références religieuses sont (très-trop) lourdes, mais demeurent un socle d’horreur efficace. La commune est peuplée de morts-vivants (Shibito) soumis à l’autorité de la monstruosité qui semble faire autorité sur la secte.
Multiples points-de-vue et narration asynchrone #
Le jeu se distingue d’abord par sa narration. Le joueur incarne 10 personnages différents qui tentent, sur 3 jours, de quitter le village. Le jeu est séquencé en courts chapitres, durant lesquels un de ces personnages va parcourir une petite partie du village ou accomplir une tâche spécifique en évitant les Shibito. Les séquences ne se suivent pas chronologiquement et un chapitre se déroulant de 14h à 15h avec un personnage X va succéder à un chapitre se déroulant de 17hà 18h avec un personnage Y. Un tableau à double entrée fait office de programme des réjouissances.
Initialement les personnages ne sont définis quasi-exclusivement que par leur profession (étudiant, prêtre, professeur, journaliste), mais des éléments narratifs sont distillés dans le jeu. À en croire les wiki, il s’agit là davantage d’un arrière-plan que d’une matière susceptible de conférer aux personnages une véritable étoffe.
Je ne sais pas trop quoi penser de ce choix de narration. Par politesse, je saluerai d’abord le choix assumé du réalisateur pour une narration qui devait être la première du genre. Au-delà de la nouveauté, on peut comprendre l’intérêt d’un court chapitrage alternant entre les personnages : pour insuffler du rythme tant au niveau de l’expérience de jeu que de la narration.
Mais les différences de gameplay entre chacune d’elles et l’attachement aux personnages sont si fragiles qu’en pratique ce découpage permet surtout d’intégrer des sauvegardes, impossibles au sein d’un chapitre.
Ayant abandonné le jeu si rapidement, ces remarques sont peu assurées. Mais je crains que le mode de narration ne parvienne pas à effacer le sentiment que les alternances de personnages ne sont que des changements de skin auxquels les déplacements chronologiques n’apportent qu’un faible renfort narratif. Mais encore une fois, et même si j’en doute, il est possible que les personnages se croisent au cours de l’aventure et qu’il en résulte un intérêt justifiant ce choix de narration.
Un jeu d’horreur-infiltration à la troisième personne #
La principale proposition de Forbidden Siren réside dans son gameplay.
Dans chaque chapitre, le joueur doit donc traverser un segment de la ville d’un point A à un point B en évitant de mourir suite aux attaques des morts-vivants. Mais le personnage est bien trop faible et désarmé pour les attaquer de front. Mieux vaut alors les éviter, les contourner, en marchant, en s’accroupissant, en éteignant sa lampe ou en se cachant derrière un mur le temps qu’ils fassent leur ronde.
Mais les personnages que l’on incarne disposent d’un pouvoir, le « sightjack », qui leur permet d’acquérir le point-de-vue des shibito présents sur zone. En pratique, le joueur appuie sur la gachette L2, faisant apparaître un écran remplit de bruit statique. En faisant tourner le stick droit, il peut « se brancher » sur la vision d’un shibito, et assigner cette vision à l’un des quatre boutons pour y revenir par la suite. Durant cette phase le joueur est immobile, contrairement au shibito.
La phase de jeu typique est donc la suivante. Au début du chapitre, le joueur « scan » les différents shibito pour acquérir leur point de vue. Il tente alors de situer les shibito dans la carte, en référence aux éléments de décor par exemple, se rapproche d’eux sans être vu et attend qu’ils détournent le regard pour passer dans leur dos.
Cette proposition est une également réponse intéressante apportée aux limitations du système. En effet, dans un jeu d’infiltration, il est crucial de situer les ennemis dans l’espace afin de les contourner. Dans la série des Thief par exemple, le son jouait un rôle majeur à cette fin1. Mais dans Forbidden Siren, les shibito font peu de bruit et surtout le brouillard restreint la vision du joueur à quelques mètres devant soi. Le sightjacking permet de situer les ennemis, par rapport à l’environnement donc, mais également par rapport au joueur, dont la présence dans le champ de vision du shibito est indiquée par un effet lumineux2 (si le joueur est trop proche du shibito il sera repéré, s’il est trop éloigné il n’apparaîtra pas dans son champ de vision).
La mécanique du sightjacking est une proposition intéressante, mais reste imparfaite.
Mécanique intéressante en ce qu’elle contraint le joueur à s’investir dans l’analyse du décor : le shibito semble être sur un toit donnant sur une petite cour? alors il faut que j’identifie ce toit ou cette cour. La tâche est souvent difficile, car le champ de vision du joueur est limité et les shibito sont très sensibles au bruit. D’autres fois, la vision du shibito n’est d’aucune aide car celui-ci se borne à scruter un mur, donnant trop peu d’indications au joueur sur sa position.
Outre ce problème de réalisation, cette mécanique pose à l’évidence un problème de rythme dans le jeu : l’alternance entre phase de sightjacking et phase de jeu est très marquée et casse la dynamique de jeu. Cela d’autant plus que même à proximité d’un shibito il est difficile de le contourner puisque le déplacement debout fait trop de bruit et le déplacement accroupi est trop lent. La marge de manœuvre pour corriger une mauvaise erreur de timing est donc très limitée. Il faut s’attendre à mourir souvent et à réussir un niveau sans vraiment savoir pourquoi le joueur a cette fois-ci été épargné.
Enfin, le sightjack produit un effet ambivalent sur la présence des personnages. D’une part, il renforce indéniablement la présence des shibito dans le niveau : je vois à travers leurs yeux, j’entends leurs râles et leur respiration, ils me ressemblent. Cela les « humanise » un peu et réduit l’impression d’avoir affaire à des IA de mauvaise qualité (ce que sont les zombies). Mais symétriquement, me voir dans les yeux d’un shibito contribue à affaiblir également le sentiment d’identification. (Je réserve l’hypothèse d’une interprétation un peu exagérée pour expliquer mon absence d’adhésion au jeu, mais il y a certainement quelque chose à creuser de ce côté)
Chant de la sirène ou chant du cygne #
Le jeu est atrocement difficile, et l’intensité d’un jeu d’horreur se conjugue mal avec les mécaniques d’un die and retry. Or, même des joueurs aguerris reconnaissent qu’il y a beaucoup de trials and errors. F5/F9 atténuent un peu la douleur, mais sans restituer de plaisir. Fin de partie me concernant, sans regrets et sans rancune.
Mais le jeu est également sadique dans la mesure où l’histoire ne peut être terminée qu’en récupérant des objets répartis dans plusieurs chapitres, mais qui ne sont jamais indiqués et sur lesquels il est impossible de tomber par hasard. Je ne suis pas arrivé jusque-là mais j’ai compris que le jeu pouvait même forcer le joueur à rejouer un chapitre précédent (pas le chapitre précédent hein, non non : un chapitre précédent) afin de récupérer l’objet requis pour la progression. Et la logique pour récupérer certains de ces objets appartient à sa propre dimension3. Par exemple, pour récupérer un objet placé dans une boîte cadenassé, le joueur doit d’abord frapper le cadenas avec une pierre récupérée à proximité avec un personnage A, puis plus tard tirer sur le cadenas avec un personnage B qui passera aussi par cet endroit (le coup de pierre ayant suffisamment affaibli le cadenas pour être dégommé au fusil et la pierre ayant disparu entretemps).
Ah, et sur les 10 personnages qui tentent de s’échapper du village, 1 seul y parviendra même en ayant religieusement suivi les indications d’un guide de jeu (sans lesquels il est impossible de terminer correctement le jeu).
Tout ceci est fascinant à analyser, d’autant plus que le lore est conséquent et les références (surtout à Silent Hill) nombreuses. Si on ajoute une difficulté qui limite le jeu à quelques happy-few, on a tous les ingrédients susceptibles de conférer un statut mythique à ce jeu, une féconde matière youtubesque.
Le volume des effets sonores dépendait de la distance de la source par rapport au joueur et des dimensions de la salle. On se rappelle également de l’importance des surfaces au sol : tapis, bois, métal, sans oublier les fameuses flèches en mousse. ↩︎
Petite entorse à la cohérence narrative : le joueur qui adopte le point-de-vue d’un shibito en voit davantage que ce dernier. ↩︎
En passant, notons que les interactions avec les objets ou les outils sont volontairement décomposées en plusieurs interactions. Pour démarrer un véhicule, on se place à proximité de la portière -> insérer la clef. Puis à bord du véhicule -> démarrer le moteur -> accélérer. Cela renforce le sentiment de dénuement du personnage et le réalisme du jeu, quitte à agacer par moments. ↩︎